un article de Libération sur les travailleurs du nucléaire japonnais :
11 octobre 2013
11 octobre 2013
sur le
chantier de la centrale. (Photo
Issei Kato. AFP)
Mercredi, un accident a blessé 6 des 3 000 ouvriers
du site de la centrale. Des forçats de la décontamination qui œuvrent jour et
nuit, perdus dans le maquis des sous-traitants peu soucieux de leurs
droits et de leur santé. Amers ou résignés, ils bravent les risques de peur
d’être chassés pour avoir parlé ou franchi le seuil limite de radiations. Certains brisent le
silence.
L’épuisement a pris le pas sur la
colère. Restent deux yeux rougis de fatigue qui vous fixent régulièrement pour
raconter un quotidien «infernal» à la centrale de Fukushima Daichi,
défiant la peur de l’accident irréparable, le stress de la fuite radioactive
sur ce site rafistolé et bringuebalant depuis mars .
Shota (1) n’a que 19 ans
et un visage glabre sous son bandana blanc. Mais il a déjà les cernes et la
voix grave des ouvriers cassés par les pénibles conditions de travail, les
missions raccourcies pour éviter les radiations. Il a une formule qui revient à
plusieurs reprises et résume tout : «Mon travail n’est pas dur, c’est
pire.» Il est chargé de «changer des tuyaux troués, rouillés et
contaminés, utilisés pour le système de refroidissement et l’évacuation des
eaux vers les réservoirs». Il intervient aux abords du bâtiment abritant
le réacteur 1, dont le cœur a entièrement fondu. Et assure avoir travaillé
près de zones très contaminées où l’exposition atteignait 1 millisievert
(mSv) la journée, soit le vingtième de la limite annuelle fixée pour les
travailleurs du nucléaire.
Originaire de Hirono, un bourg à
une quinzaine de kilomètres au sud de la centrale, Shota travaille depuis six
mois dans l’indifférence générale. «On ne parle pas assez de ce qui se
passe ici. Les ouvriers de Fukushima sont abandonnés. Ce sont des humains
jetables. On les prend, on les utilise et quand on ne peut plus s’en servir, on
les jette. Moi aussi, je suis jetable.» Cet adolescent qui a grandi trop
vite est l’un des 3000 forçats du nucléaire qui, jour et nuit, s’échinent
à tenir à flot ce Titanic atomique.
Ils viennent de tout l’archipel,
seuls ou en groupes, embauchés par des géants de l’industrie, ou le plus
souvent par des PME locales. Quand ils ne sont pas enrôlés par des officines
peu scrupuleuses sur les droits des salariés et les normes de sécurité. Ils
n’ont pas de voix, pas de visage, pas de noms, pas le droit de parler et donc
pas de mérite, ni de reconnaissance.
Vraiment inquiétant
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