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mardi 15 octobre 2013

Les «humains jetables» de Fukushima

un article de Libération sur les travailleurs du nucléaire japonnais :
Arnaud VAULERIN 11 octobre 2013 



sur le chantier de la centrale. (Photo Issei Kato. AFP)



Mercredi, un accident a blessé 6 des 3 000 ouvriers du site de la centrale. Des forçats de la décontamination qui œuvrent jour et nuit, perdus dans le maquis des sous-traitants peu soucieux de leurs droits et de leur santé. Amers ou résignés, ils bravent les risques de peur d’être chassés pour avoir parlé ou franchi le seuil limite de radiations. Certains brisent le silence.

L’épuisement a pris le pas sur la colère. Restent deux yeux rougis de fatigue qui vous fixent régulièrement pour raconter un quotidien «infernal» à la centrale de Fukushima Daichi, défiant la peur de l’accident irréparable, le stress de la fuite radioactive sur ce site rafistolé et bringuebalant depuis mars .
Shota (1) n’a que 19 ans et un visage glabre sous son bandana blanc. Mais il a déjà les cernes et la voix grave des ouvriers cassés par les pénibles conditions de travail, les missions raccourcies pour éviter les radiations. Il a une formule qui revient à plusieurs reprises et résume tout : «Mon travail n’est pas dur, c’est pire.» Il est chargé de «changer des tuyaux troués, rouillés et contaminés, utilisés pour le système de refroidissement et l’évacuation des eaux vers les réservoirs». Il intervient aux abords du bâtiment abritant le réacteur 1, dont le cœur a entièrement fondu. Et assure avoir travaillé près de zones très contaminées où l’exposition atteignait 1 millisievert (mSv) la journée, soit le vingtième de la limite annuelle fixée pour les travailleurs du nucléaire.
Originaire de Hirono, un bourg à une quinzaine de kilomètres au sud de la centrale, Shota travaille depuis six mois dans l’indifférence générale. «On ne parle pas assez de ce qui se passe ici. Les ouvriers de Fukushima sont abandonnés. Ce sont des humains jetables. On les prend, on les utilise et quand on ne peut plus s’en servir, on les jette. Moi aussi, je suis jetable.» Cet adolescent qui a grandi trop vite est l’un des 3000 forçats du nucléaire qui, jour et nuit, s’échinent à tenir à flot ce Titanic atomique.
Ils viennent de tout l’archipel, seuls ou en groupes, embauchés par des géants de l’industrie, ou le plus souvent par des PME locales. Quand ils ne sont pas enrôlés par des officines peu scrupuleuses sur les droits des salariés et les normes de sécurité. Ils n’ont pas de voix, pas de visage, pas de noms, pas le droit de parler et donc pas de mérite, ni de reconnaissance.

 

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