Une étude du CEA sur les rejets de l'accident de Fukushima
D’après G. LE PETIT - P. ACHIM - G. DOUYSSET - P.
GROSS - M. MONFORT - C. MOULIN
du CEA-DAM Île-de-France.
Le 11 mars 2011, la côte Est du Japon est frappée par un
séisme de magnitude exceptionnelle qui conduit à un tsunami majeur, puis à
l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.
Quatre réacteurs sur six subissent des dommages
irrémédiables entre le 12 et 15 mars 2011,
principalement engendrés par des explosions d’hydrogène
(unités 1, 2 et 3) et d’un feu affectant la piscine de refroidissement des
éléments combustibles de l’unité 4. Dans les jours qui suivent, les stations
aérosols et gaz rares du réseau de surveillance de l’Otice (Organisation du
traité d'interdiction complète des essais nucléaires) mettent en évidence la
présence de produits de fission dans l'atmosphère. Les données issues de ces
stations, reçues au CND (Centre National de Données) situé à
Bruyères-le-Châtel, sont particulièrement précieuses pour renseigner sur les chronologies
de rejets et évaluer les niveaux de remise à l'atmosphère de la radioactivité.
Plus spécifiquement, les stations de surveillance aérosols et gaz rares
localisées à Takasaki, à environ 100 km au Nord-Ouest de Tokyo (japon),
permettent de fournir un diagnostic sur l’état des réacteurs.
Les stations de surveillance Otice de Takasaki sont parmi
les premières stations touchées par un rejet radioactif de Fukushima. La figure
1 montre les produits de fission volatils (131I, 132I, 133I,
134Cs, 137Cs, 129mTe, 131mTe et 132Te)
mesurés à partir d'un prélèvement d'air de 23 000 m3 acquis sur 24
heures du 13 mars au 14 mars 2011 à Takasaki.
Les niveaux d'activité volumique
mesurés sont de l'ordre de 3 500 Bq/ma pour 1311 et de 400 Bq/m3 pour le 137Cs.
Dans les jours qui suivent, les mesures des prélèvements aérosols réalisés à
Takasaki mettent en évidence la présence d'un panel de radionucléides élargi.
L'un de ces prélèvements, acquis du 22 mars au 23 mars 2011 par la station
aérosol de Takasaki, est expertisé par les laboratoires du Département analyse
surveillance de l'environnement (DASE) du CEA/DAM. L'analyse met en évidence,
outre les produits de fission (110mAg, 140Ba, 136Cs, 137Cs, 131I, 132I, 140La,
99Mo, 95Nb, 86Rb, 125Sb, 127mTe,
129Te, l29mTe, 132Te) et d'activation (134Cs, 113Sn)
volatils ou semi-volatils, la présence dans l'atmosphère d'éléments peu
volatils, 95Nb et 103Ru, sous forme de traces (activités volumiques,
respectivement de 3.0.10‘ et 5.0.10‘ Bq/m3).
En s'appuyant sur
les travaux issus des programmes de simulation d'accidents graves de
réacteurs (VERCORS, PHEBUS [1]) conduits par le CEA (Direction
de l'énergie nucléaire) et par l'Institut de radioprotection et de sûreté
nucléaire IRSN), les concentrations en produits de fission mesurées par spectrométrie
d'émission gamma par le DASE, permettent de conclure à un état de fusion avancée des cœurs
des réacteurs comme origine des rejets de produits de fission à l'atmosphère,
et d'invalider le dénoyautage de la piscine de stockage de l'unité 4 (548
assemblages de haute activité étaient en cours de refroidissement durant les
trois mois précédant l'accident). En effet. le rapport 131I /137Cs,
mesuré dans les prélèvements atmosphériques, se révèle consistant avec celui
correspondant à l'inventaire des cœurs
[1] J'ai travaillé à la mise en place de cette installation de simulation en 1996-1997
des réacteurs de Fukushima au moment de leurs arrêts. Par
ailleurs, la mise en évidence d'une faible signature 113Sn (4,7.l0-5
Bq/m3) dans l'air, produit d'activation formé par la réaction l12Sn(n,ɤ)113Sn
au sein des gaines de combustible (constitué d‘un alliage en Zircalloy composé
principalement de zirconium associé à 1.5 % d'étain), implique une température
minimale de 1 800°C correspondant à la fusion des gaines. La non-détection du 95Zr,
usuellement en filiation radioactive avec le 95Nb. Dans les
prélèvements liés à l'accident de Fukushima est conforme aux résultats obtenus
par les expériences CEA/IRSN qui ont montré que cet élément réfractaire était
très peu relâché, même dans le cas d'un cœur de réacteur très dégradé.
Une autre évidence
de l'état de dégradation des réacteurs de la centrale de Fukushima est apportée
par la détection des isotopes radioactifs du xénon (133Xe et 131mXe)
par les stations de surveillance gaz rares de l'Otice localisées dans
l'hémisphère Nord. Des simulations du transport atmosphérique restituant les
activités volumiques mesurées aux stations, conduisent à estimer que 80 % du
xénon radioactif correspondant à l'inventaire des cœurs de réacteurs est
relâché dans l'atmosphère par les différents rejets. Ces travaux permettent
aussi d'évaluer la chronologie des rejets et d'estimer les niveaux de
radioactivité émis dans l'atmosphère. Ils suggèrent que les principales
émissions atmosphériques ont eu lieu le 14 mars 2011 (explosion du réacteur n°
2) et qu'aucun rejet majeur n'a eu lieu après le 23 mars. En accord avec les
observations des stations du réseau international de surveillance de l'Otice.
les simulations montrent que l'Europe est atteinte dans les deux semaines qui suivent
le tsunami. et qu'en moins de trois semaines la totalité de l'hémisphère Nord
est affectée (figure 2).
Les termes sources déterminés pour l'iode 131 et le césium
l37 montrent que les rejets atmos-
phériques totaux consécutifs de l'accident de Fukushima
Daiichi pourraient représenter environ 10 % de ceux issus de l'accident de Tchernobyl. Compte
tenu des faibles niveaux d'activité détectés en France et en Europe, l'impact
radiologique, sur 1a population de ces pays, de l'accident survenu à la centrale
nucléaire de Fukushima est négligeable.
[1] J'ai travaillé à la mise en place de cette installation de simulation en 1996-1997
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